Les cryptomonnaies, notamment le Bitcoin, ont connu ces derniers mois un engouement sans précédent. De nombreux investisseurs s'apprêtent ainsi à déclarer aux impôts leurs cryptoactifs, qui font l'objet depuis cette année d'une nouvelle réglementation fiscale.
Benjamin Allouch, juriste et fondateur du blog BitcoinBlockchain, revient sur ces réformes.
Quels sont les principaux changements concernant les cryptomonnaies qu’implique le PLF 2019 ?
Le prélèvement forfaitaire unique (PFU), ou flat tax, est une grande nouveauté pour la fiscalité française. De nombreuses plus-values sont désormais imposées au taux unique de 30%. Celles des crypto-actifs n’y échappent donc pas.
Les plus-values réalisées à compter du 1er janvier 2019 seront donc taxées au taux unique de 30%, en y incluant les prélèvements sociaux. Il existe quelques exceptions ou autres régimes applicables sur lesquels je reviendrai plus loin.
En êtes-vous satisfait ?
Je suis plutôt de la méthode des petits pas : nous partions d’assez loin en matière de cryptomonnaies en France avec une imposition confiscatoire qui, en outre, ne reposait sur aucun texte opposable aux contribuables avant la décision du Conseil d’Etat d’avril 2018. L’application de la flat tax est donc une bonne nouvelle en soi.
Néanmoins, avec un taux de 30%, il est clair que la France est encore loin de pays comme l’Allemagne, la Suisse ou Malte où la plus-value peut être non imposable.
En outre, il aurait pu être envisagé d’appliquer aux crypto-actifs l’avantageux régime fiscal de l’or (taxation à 11,5% du prix de vente, dégressivité pour durée de détention). Mais cela n’a même pas été discuté par les parlementaires.
Comment faut-il déclarer ses cryptoactifs aux impôts ?
Le régime de la flat tax a le mérite de la simplicité. Toutefois, le fisc vous demandera probablement d'indiquer, dans votre déclaration d'impôts, toutes vos transactions de l'année N-1. Sur ce point, consultez un fiscaliste pour plus de précisions. Mais je considère que rassembler plusieurs transactions en une ne contreviendra pas à la loi tant que la plus-value est identique.
Vous devez déclarer vos plus-values, aux auxquelles vous pouvez déduire vos moins-values de la seule année N-1, dans la partie 3 relative aux plus-values mobilières.
La loi de finances 2019 définit ce qu’est la plus-value et cette définition n’est pas exempte d’une grande complexité arithmétique ! La définition exacte, présente au paragraphe III de l'article 150 VH bis du code général des impôts, est la suivante : «La plus ou moins-value brute réalisée lors de la cession de biens ou droits mentionnés au I est égale à la différence entre, d'une part, le prix de cession et, d'autre part, le produit du prix total d'acquisition de l'ensemble du portefeuille d'actifs numériques par le quotient du prix de cession sur la valeur globale de ce portefeuille».
Je vais simplifier grossièrement : retenez que la plus-value correspond à peu près au calcul suivant : prix de cession - prix d'achat - éventuelle moins-value. Je ne dis bien à peu près car vous voyez que l'opération est bien plus complexe que cela !
A titre d'exemple, avec un prix de vente à 10 000 €, un prix d'achat à 4 000 € et une absence de moins-value, la plus-value serait de 6 000 €, ce qui nous donne un impôt de 1 800 € (30 % de 6000). Encore une fois, ce n'est qu’une grossière approximation.
Existe-t-il des exceptions ?
Il existe deux exceptions à ce taux : une exonération d’imposition lorsque la plus-value (en fait, la «somme globale des cessions» mais je simplifie) est inférieure ou égale à 305 €, un taux porté à 33 ou 34% si le contribuable se voit appliquer la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR). On parle bien de très hauts revenus car il s’agit d’un revenu fiscal de référence supérieur à 250 000 € pour une personne seule !
Enfin, il existe un cas très particulier qui serait une application du régime de la cession des biens meubles. La définition du cyrpto-actif donnée par le code général des impôts pourrait ne pas inclure certaines crypto-monnaies particulières, notamment les anonymes. Néanmoins, je penche plus pour une maladresse rédactionnelle qu’une volonté d’exclusion de ces crypto-monnaies de la définition.
Ceux réalisant une plus-value de 305 € ou moins sont exonérés d’impôt mais pas de la déclaration.
Chaque plus-value doit-elle être déclarée tout au long de l’année ?
Avec l’application de la flat tax, non, vous déclarez une seule fois au printemps. Mais ceci ne s’appliquera qu’à partir des plus-values 2019. Pour les plus-values réalisées en 2018, vous allez appliquer le régime antérieur relatif à la cession de biens meubles à votre déclaration du mois prochain. Or, en théorie, chaque cession doit être déclarée dans le mois suivant ladite cession.
Dans certains cas, le calcul pourrait s’avérer complexe. Que conseillez-vous dans ce cas ?
J’ai toujours insisté sur la complexité du calcul de la plus-value en présence d’une volatilité extrême et de plusieurs transactions. Désormais, c’est moins compliqué. D’une part, la volatilité s’est fortement estompée. D’autre part, il existe des outils vous permettant de calculer de manière précise votre plus-value. Je conseille Cryptio, qui est le seul calculateur à se consacrer spécifiquement aux crypto-actifs.
Pour ceux qui tiennent à calculer eux-mêmes leur plus-value, vous devez vous référer à la définition donnée plus haut et non à l’approximation que je vous ai donnée. Si vous êtes doué en maths, vous devriez vous amuser. Pour les autres, bon courage !
Comment sont désormais taxés les mineurs de cryptomonnaies ?
Pour les mineurs, le régime applicable est identique à celui des années précédentes. Ils sont imposés au titre des BNC (bénéfices non commerciaux), ce qui impose de tenir une comptabilité. Les mineurs sont désormais bien au courant de la situation.
Ces nouvelles dispositions constituent-elles une avancée, selon vous ?
Il y a du bon ou du moins bon… Dans le bon, évoquons l’exonération des échanges entre crypto-actifs. Je l'ai toujours affirmé car cela me semblait logique au sens fiscal. C'est désormais officiel. Une bonne nouvelle, quand on sait la catastrophe que cela aurait pu engendrer si le contraire avait été décidé. On peut ajouter, comme dit précédemment, l’exonération des plus-values inférieures ou égales à 305 €, même si le montant peut faire sourire.
En outre, les notions de crypto-actifs, jetons, plus-value sont désormais définies… avec certaines ambiguïtés qui néanmoins persistent comme je l’ai indiqué plus haut.
Dans le moins bon, l'ingénieuse idée des parlementaires de ne pas clairement trancher l'un des sujets les plus épineux du monde crypto : quand passe-t-on d'une activité accessoire à une activité habituelle ?
Le faisceau d'indices de la doctrine administrative du Bofip reste en vigueur : nombre de transactions effectuées, crypto-actifs détenus, délai entre achat et revente... un examen au cas par cas qui peut amener à d'innombrables difficultés. Il me semble logique et juste d'indiquer que le nombre de transactions est le critère principal à prendre en compte. Au-delà de quel nombre vous passerez en activité habituelle ? En cas de contentieux avec le fisc, seul le juge en décidera.
Or, le caractère habituel change tout car le régime d'imposition serait désormais celui réservé au BIC, avec obligation de tenue d’une comptabilité voire une déclaration en tant que société, une absence d’exonération des échanges entre crypto-actifs, etc. L'interprétation est donc très personnelle et j'estime que des transactions quotidiennes pourraient suffire à vous mettre en activité habituelle.
Quels sont les profils avantagés / Désavantagés par ces nouvelles dispositions ?
Les hauts revenus sont clairement avantagés. Avec un taux unique de 30%, un contribuable ayant un revenu de 15 000 € par mois sera autant imposé qu’une personne au SMIC. A l’inverse, les personnes à bas revenus sont désavantagées car elles ne peuvent pas demander l’application du barème progressif à leurs plus-values.
Certaines demandes du rapporteur n’ont pas été prises en compte. Il demandait notamment à ce que seules les sommes rapatriées sur compte bancaire soient soumises à l’impôt. Qu’en est-il ?
Selon moi, c’est le très gros point noir. C'est quelque chose que je défends depuis que j'écris sur le sujet. J'ai toujours affirmé que seuls les gains rapatriés étaient taxés, au contraire de certains fiscalistes (pas tous) intervenant sur le sujet. Mon analyse était simple, pour ne pas dire simpliste : rien ne l'indiquait dans les textes.
En outre, cela aurait engendré une multitude de calculs parfois très complexes à effectuer en raison de la volatilité extrême dont on fait preuve les cryptos jusqu'au milieu de l'année 2018. Or, en ne taxant que les gains rapatriés, on a clairement un indicateur qui est la somme figurant sur votre ligne de compte.
Avec le rejet de l'amendement en question, la position du législateur est désormais plus limpide et ne va pas du tout dans le bon sens... mais elle appuie ma théorie sur le fait que seuls les gains rapatriés étaient auparavant taxés. Tout échange d'une cryptomonnaie en devise traditionnelle est donc taxé au moment de l'échange.
Rappelons qu'à ce jour, une plus-value latente, en sommeil sur une plateforme d'échange, n'a quasiment aucune utilité pour son bénéficiaire. En effet, il faut malheureusement constater que les cryptomonnaies ne sont pas encore devenues un traditionnel moyen d'échange de biens.
Soulignons en outre les difficultés qu'ont certains à rapatrier leurs gains sur leur compte personnel depuis les plateformes. La froideur des banques et le rejet de l'amendement, permettant une taxation directe des plus-values latentes, ont-ils un lien ?
Cela ne risque-t-il pas de pénaliser certains contribuables qui auraient revendu lors de la forte baisse de janvier 2018 pour racheter immédiatement ? Le total des reventes, sans prise en compte du rachat ou des moins-values, peut vite grimper.
L’application cumulée de toute la réglementation est très désavantageuse : en ne pouvant reporter les moins-values supérieures à l’année N-1 et en taxant les plus-values non rapatriées, certains pourraient en effet perdre de l’argent, comme je l’avais déjà indiqué l’année dernière sur Cnews.
Le fait de ne pas déclarer l’ensemble des wallets doit être pénalisé à partir de 2020. Comment jugez-vous cette mesure ? Faut-il les déclarer dès cette année ?
Vous devez désormais déclarer dès maintenant, et non pas à partir de 2020, votre compte exchange (wallets) sur une plateforme comme Paymium, Coinbase ou Kraken car ne pas le faire vous expose à une sanction pouvant aller jusqu’à 750 €. Je conseille donc de le déclarer dès cette année.
Lorsque l’on veut taxer une plus-value quelconque ou pour éviter une évasion fiscale, il est normal que l’administration fiscale demande à ce que les wallets soient déclarés comme compte ouvert à l’étranger.
L’administration fiscale a-t-elle mis en place en système de récupération des informations auprès des Wallets, comme Coinbase ou Binance ?
A ma connaissance, non. Mais cela ne veut pas dire que le fisc ne pourra pas remonter en arrière lorsque ce système existera. En effet, en cas de fraude, la prescription est de 10 ans en matière fiscale. Elle est de 4 ans en l’absence de fraude.
Un degré d’indulgence est-il a attendre de la part du Fisc au vu du caractère récent des cryptos et du flou relatif qui les entoure ?
L’administration fiscale considère désormais que tout est clair et limpide donc je ne m’attends à aucune indulgence. Néanmoins, si des personnes ont une moins-value de 10 000 € qu’ils ne peuvent déduire car elle est supérieure à 1 an, je ne pense sincèrement pas que le fisc va taxer une plus-value légalement déclarée de 1 000 €… Mais c’est une interprétation personnelle.
Quel conseils donneriez-vous aux particuliers qui se sentiraient perdus face à la complexité de la déclaration ?
Je pense sincèrement que la flat tax simplifie beaucoup les modalités de déclaration. Le problème reste le calcul de la plus-value qui peut causer des maux de tête si vous n’utilisez pas un logiciel de comptabilité. Je conseille de faire au plus simple : déclarer est déjà une bonne chose et les petites erreurs de calcul ne vous seront pas reprocher tant qu’elles restent minimes.
Si certains sont vraiment perdus, je conseille de consulter un avocat fiscaliste, à condition qu’ils connaissent bien le monde des crypto. Or, ils sont peu nombreux en France
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